L'Île sainte-Hélène avant son urbanisation
Jusqu'à la fin du 19e siècle, l'île Sainte-Hélène est un espace peu urbanisé. Telle qu'elle apparaît sur les documents du 18e et du début du 19e siècle, elle présente un caractère périurbain occupé de jardins et de constructions éparses. Elle est traversée de chemins qui la mettent en relation avec les territoires extra-muros contigus et les portes des Juifs et des Pêcheurs.
Détail de l'île Sainte-Hélène sur le plan-relief de Strasbourg de 1725-28 (table 18).
Sa partie méridionale toutefois est acquise par la Ville dès 1846 afin d'y aménager un port de débarquement destinés aux bateaux qui ne peuvent pénétrer dans la ville. A cette occasion, une partie des bras de l'Ill sont comblés. En 1854, le port est agrandi par l'achat par la Ville de terrains privés adjacents. Toutefois, dès 1869, une partie du terrain municipal est mis en location pour une exploitation commerciale, le reste conservant sa fonction de lieu de déchargement des bateaux (débats du Conseil Municipal, 1846, 1869).
La conception du plan d'aménagement de l'île
L'île Sainte-Hélène dans le plan d'extension de 1880
Le plan d'extension de 1880 ne tient pas compte du parcellaire et du tracé viaire antérieurs de l'île. Le réseau de rues qui y est projeté est organisé de manière orthonormée, à l'instar de l'ensemble des quartiers nord et est de l'extension. Traversée du nord au sud par un axe important, l'île est découpée d'ouest en est par trois voies primaires, au nord un tronçon de la ceinture de boulevards ainsi qu'une voie reliant la Schiltigheimerthor (actuelle place de Bordeaux) à la Kehlerthor (aujourd'hui place de Kehl) et au sud par l'axe courant de la Steinthor (place de Haguenau) à la Kehlerthor. A ces axes, s'ajoutent quatre autres voies d'importance moindre, elles aussi orientées ouest-est ainsi que des quais. Le réseau de voies dessine ainsi un ensemble de treize îlots de constructions. A ceux-ci s'ajoutent un emplacement réservé pour un opéra, dans la partie méridionale de l'île, au débouché de la voie nord-sud ainsi qu'un jardin public projeté sur l'emprise des terrains détenus par la Ville à la pointe sud de l'île.
L'île Sainte-Hélène, détail du plan d'extension de 1880.
A partir de 1889, l'aménagement sud de l'île est remis en question avec le choix d'aménager à l'emplacement du futur parc et de l'opéra l'église de garnison protestante. A cette fin, les terrains sont cédés par la Ville à l'Armée (cf. dossier église Sainte-Paul). Ce projet ne remet toutefois pas en cause l'économie générale du plan d'aménagement de l'île Sainte-Hélène.
Au début des années 1890, l'île Sainte-Hélène est encore très peu urbanisée. Si l'on excepte les casernes au nord et l'église de garnison alors en chantier au sud de l'île, seuls quelques édifices sont construits en bordure des berges de l'Aar, tandis que plusieurs édifices anciens subsistent.
C'est à compter de cette période que les première modifications relatives à l'aménagement de l'île sont engagées. Celles-ci portent sur trois domaines : la hauteur des sols, le tracé des voies et les modes de constructions autorités dans l'île. Conduites concomitamment lors des nombreux aménagements apportés au plan d'aménagement de l'île entre 1890 et 1911, ces modifications sont ici envisagées successivement par souci de clarté.
Les modifications apportées au nivellement de l'île
Comme dans les autres secteurs de la Neustadt, le plan d'extension prévoyait une modification des altitudes des terrains et notamment un rehaussement de 2 à 4 mètres des voies. Ce principe est remis en question en 1892. En effet, l'ouverture du canal de décharge de l'Ill à hauteur de Erstein permet une diminution des hauteurs de sols nécessaire. Aussi est-il décidé de ramener la hauteur moyenne des rues de l'île de 140,5 mètres à 139,5. Cette mesure, qui permet en outre une économie notable lors de l'aménagement des terrains est soumise à enquête publique du 5 au 18 mai 1892. Une seule réclamation est faite, celle du président du tribunal de grande instance (Landgericht Präsident) Pauli. Celui-ci a en effet déjà fait surbâtir son terrain, sis quai Zorn en fonction de l'altitude de rues prévue dans le plan de 1880. Une modification de celle-ci porte donc atteinte à son bien. La municipalité décide de recourir à une compensation financière (Archives municipales et communautaires de Strasbourg 990W25) .
Près de vingt ans plus tard, en 1911, de nouvelles modifications des altitudes sont apportées à l'île. Si l'argument financier est toujours mis en avant, la préservation de l'aspect périurbain et pittoresque de l'île par la conservation de ses édifices et arbres anciens, est également avancée. A cette fin, la Ville propose de renoncer à surhaussement des terrains. Ce nouveau changement, apporté alors que le plan d'aménagement de l'île fait l'objet de modifications et de tractations depuis de longues années (cf. infra), soulève plusieurs objections lors de l'enquête publique. Toutes sont néanmoins rejetées.
Les modifications apportées au tracé des rues
Le tracé de voirie tel qu'il a été établi en 1880 fait l'objet de modifications à partir de 1900. Les arguments alors avancés relèvent de la circulation. Il convient de remédier au manque de voies diagonales, afin d'améliorer les liaisons entre l'île et les espaces environnants, et de revoir la largeur des rues. En effet, l'essentiel ne compte que 14 mètres de large alors que les rues déjà construites de la Neustadt possèdent une largeur de 20 mètres. Un plan conçu par le service municipal d'architecture est présenté et approuvé par le conseil municipal lors de la séance du 2 avril. Il est soumis à enquête publique du 1er au 14 mai 1900.
Plan d'alignement de l'île Sainte-Hélène. En rouge, les modifications prévues, 1900.
Lors de l'enquête, le nouveau plan se heurte à une vive opposition des propriétaires de l'île. Le principal argument avancé repose sur l'atteinte portée à leurs biens alors qu'eux mêmes les ont achetés et/ou aménagés en tenant compte du plan d'extension élaboré 20 ans plus tôt. Ce mécontentement apparaît d'autant plus fort qu'il se double de l'impatience des riverains face à la lenteur d'aménagement de l'île.
Celui-ci semble s'amplifier à partir du début du siècle. Plusieurs journaux s'en font l'écho et, à compter de 1902, un groupement de propriétaires se réunit. En juillet 1902, il adresse une pétition à la Ville pour demander l'aménagement dans les meilleurs délais de l'avenue d'Alsace et de la Sabinestrasse (actuel boulevard Jacques-Preiss) afin de mettre l'île Sainte-Hélène en relation avec les grands axes de la Neustadt. Toutefois, pour l'aménagement de ces voies, la Ville se heurte à des problèmes d'expropriation et à des nivellements des terrains en bordure des voies d'eau.
Les réclamations contre le nouveau plan d'aménagement nécessitent une adaptation importante de celui-ci. Aux questions de voirie et de parcellaire, s'ajoutent celles relatives au nivellement des terrains évoquées plus haut et aux projets de modification de la liberté de construire dans l'île (cf. infra). L'interaction entre ces questions ainsi que la réticence de certains propriétaires agacés ralentissent le projet. Après plusieurs ébauches, un nouveau plan d'aménagement est présenté au Conseil municipal en avril 1911. Fruit d'un long travail de concertation avec le "groupement d'intérêt de l'île Sainte-Hélène" (Comité der Eigentümer und Interessenten der Heleneninsel), association constituée vraisemblablement à partir de 1902 qui tend à devenir un interlocuteur privilégié de la Ville et un intermédiaire entre celle-ci et les propriétaires de l'île, ce nouveau plan d'aménagement est soumis à enquête publique du 16 mai au 1er juin 1911et validé, après quelques modifications, par le Bezirkspräsident en août de la même année.
Plan d'alignement validé en 1911.
Les modifications apportées aux types de constructions autorisées dans l'île
Par ailleurs, parallèlement aux discussions sur la modification du tracé des rues, se dessine le projet de la municipalité de faire de l'île Sainte-Hélène un quartier de villas (Villaviertel) reprenant en cela une volonté déjà exprimée au moment de l'élaboration du plan d'extension pour le quartier autour de l'Université (cf. dossier Université). Outre l'opportunité de réduire les coûts d'aménagement de la voirie en préférant à de larges voies, la construction de rues plus étroites mais bordées de jardins de devant (Vorgarten), l'objectif en aménageant un tel ensemble sur l'île, est de valoriser ce quartier de la Neustadt, qui à proximité de la vieille ville, de l'Université et du Kaiserplatz (place impériale, actuelle place de la République) et bordée par l'Ill et l'Aar apparaît comme l'un des plus remarquables de l'extension.
Les premières évocations du projet à la Ville semblent remonter à 1903. En 1906, lors d'une séance du Conseil municipal, l'adjoint Walz propose de recourir à une limitation de la liberté de bâtir en accord avec les propriétaires afin de permettre l'aménagement de villas, au moins en bordure des quais de l'île. Le maire rappelle alors qu'une telle restriction, bien qu'attestée dans d'autres villes, se heurterait à l'opposition du Landesausschuss.
Fort de ce constat, le service municipal d'architecture propose en novembre 1906 d'allonger le plus possible les tronçons de voies de telle sorte que, conformément à la loi du 30 mai 1879 (cf. dossiers voirie et Neustadt), il soit presque impossible à un propriétaire de faire bâtir sa parcelle sans bénéficier d'une dérogation de la Ville, laquelle serait accordée à condition que le propriétaire s'engage à construire une maison dont l'accessibilité et le raccordement en eau seront assurés. Le principe est validé par le Conseil municipal et le plan d'aménagement de l'île repris en conséquence afin que les tronçons de voies (Strasseneinheiten) soient rendus aussi longs que possible.
Parallèlement à ce projet et à la demande de l'adjoint Walz, des discussions sont engagées entre la municipalité et le groupement d'intérêt de l'île Sainte-Hélène pour l'établissement à l'amiable d'une servitude dans ce quartier pour que n'y soit autorisée que la construction de villas. Le groupement d'intérêt de l'île Sainte-Hélène auquel est présenté le projet au début de l'année 1907 l'approuve à condition qu'il soit appliqué de manière raisonnée selon les parties de l'île et qu'il soit corrélé à un engagement de la Ville de faire aménager les rues de l'île dans des délais fixés au préalable. A cette condition, le groupement se déclare prêt à œuvrer pour convaincre les autres propriétaires de l'île du bienfondé de la mesure municipale.
Les discussions entre la Ville et le groupement se poursuivent jusqu'à la publication du nouveau règlement de construction de la ville (Baurordnung) en avril 1910. De l'avis du groupement d'intérêt celui-ci mettrait en péril la qualité du quartier de villas prévu sur l'île, ce que contredit la Ville. En effet, conformément aux discussions antérieures, le règlement prévoit que, à l'exception de l'avenue d'Alsace, la partie de l'île au sud de la rue Sabine (actuel boulevard jacques Preiss) soit aménagé en zone de construction ouverte (offene Bauweise) de classe trois, tandis que la partie au nord de cette voie sera dédiée à des constructions en tissu urbain fermé de type trois. Par ailleurs, la loi pour la protection de l'aspect local (Gesetz zum Schutz des Ortsbildes, cf. dossier Neustadt) dont l'entrée en vigueur est alors imminente permettra de contrôler le type de construction, la nature des espaces libres ainsi que de préserver la qualité paysagère de certains secteurs de la ville, ce qui, de l'avis de la Ville devrait être le cas pour l'île Sainte-Hélène. Cette loi est d'ailleurs mise à profit dès l'année suivante pour imposer l'aménagement de jardins de devant (Vorgarten) dans toutes les propriétés de l'île.
Les nouveaux outils règlementaires permettant de contrôler la production du bâti dans l'île Sainte-Hélène, il n'apparaît plus nécessaire de recourir à l'établissement de longs tronçons de rues. Un nouveau plan de découpage des tronçons de rues est proposé peu de temps après l'approbation du nouveau plan d'aménagement de l'île et validé le 29 décembre 1911 marquant le début effectif de l'urbanisation de l'île.
Plan de découpage des tronçons de rues de l'île Sainte-Hélène tel que validé en décembre 1911.
Les modifications apportées au plan d'aménagement de l'île
Après 1911, quelques modifications sont encore apportées au plan d'aménagement de l'île. En 1923, lors de l'entrée en application du nouveau règlement de construction (cf. dossier Neustadt) une portion de la partie nord de l'île qui en 1911 était prévue comme zone de construction fermée, est modifiée pour être dédiée à la construction ouverte (secteur entre les actuels boulevard Jacques-Preiss et rue du Général-Ducrot).
D'autre part, si nombre de rues commencent à être aménagées à compter des années 1910, des changements sont apportés à plusieurs d'entre elles au début des années 1930, sans toutefois remettre en question l'aménagement général de l'île.
L'urbanisation de l'île
Rythme de construction
En dépit de son emplacement idéal au cœur de la Neustadt et à proximité de la vieille ville, l'île Sainte-Hélène, Impactée par le retard accusé pour la mise en œuvre de son plan d'aménagement, connaît une urbanisation fort tardive comparativement aux autres secteurs voisins de l'extension. Ainsi, au tournant du siècle, l'île n'est que très peu bâtie. Si l'on excepte les édifices militaires, les quelques constructions qui y sont élevées depuis l'entrée en vigueur du plan d'extension sont situées en bordure de l'Aar, à proximité immédiate du quartier du parc de Contades (immeubles 8, 9, quai Zorn, lotissement Tobias 21, 22, quai Zorn, actuelles rues Sabine et Werinhar) ou le long d'anciens chemins (maisons 1, 5, rue Heckler, 10, 12, rue Johann-Knauth).
L'urbanisation réelle de l'île est engagée dans les dernières années précédant la guerre pour s'accélérer durant le deuxième quart du siècle, comme en témoignent les dépôts de permis de construire pour ce secteur :
- période antérieure à 1880 : aucun dépôt de permis de construire
- entre 1881 et 1892 : 10 dossiers déposés
- entre 1893 et 1905 : 8 dossiers
- entre 1906 et 1918 : 14 dépôts de permis de construire
- entre 1919 et 1945 : 51 dossiers déposés
- entre 1946 et 1970 : 24 demandes
- entre 1971 et 2013 : 3 demandes.
De même, le réseau viaire primaire n'est achevé qu'assez tardivement. Ainsi, le boulevard Jacques-Preiss et le pont de la Dordogne qui relie ce dernier au boulevard Tauler et au quartier de l'Orangerie ne sont-ils entièrement construits que dans le courant du troisième tiers du 20e siècle.
Les maîtres d’œuvre et des maîtres d'ouvrage
L'urbanisation de l'île n'a pas été le fait d'un nombre réduit de personnes, commanditaires ou architectes, qui se seraient approprié ce secteur de la Neustadt. Au contraire, l'exploitation des données issues du dépouillement des archives de la police du bâtiment met en évidence le grand nombre d'intervenants, plus de 100 maîtres d'ouvrage et plus de 90 maîtres d’œuvre. Tout au plus, peut on mentionner le nom d'Ernest Misbach, auteur d'une petite vingtaine d'édifices construits durant le troisième quart du 20e siècle et faisant en cela figure de principal constructeur dans l'île Sainte-Hélène.